lundi 11 juin 2012

STEPK (Yannick Lefeuvre et Thierry Gaudin)


Nul ne peut nier le feu, la brûlure, l'incandescence ressenties face aux figures et aux corps de Stepk. Quand le geste de l'éraflure porte le tranchant du mouvement à ce paroxysme là, l'émotion nous assaille, notre être tout entier happé s'arrête stupéfié. Il nous fige et le temps de l'insupportable s'inscrit en nous. Ce temps de suspension, de rupture et de fragilité si nous l'acceptons ouvre à la déchirure symbolique, le désir de dire l'autre.
Ce déchirement où l'encre jetée, les ligatures des huiles répandues, des effluves à vifs à peine colorées nous donnent l'opportunité d'un violent constat. Cette perte de l'émotion humaine contemporaine rendue visible devient une chance à saisir. Il n'y a que trop peu d'occasions où cela se mesure. J'ose l'affirmer, ces échos de nos déviances qui s'affichent avec hargne apportent des lueurs d'espérance. Rien de malsain, de complaisant mais une intransigeance rare qui un instant nous perturbe mais une fois pris aux tripes, l'envie d'aller plus loin nous revitalise. Je ne pense pas qu'il veuille y être à ce point mais lui même emmené dans une assomption prophétique, il s'y tient. A s'y maintenir ainsi avec cette vigueur courageuse, d'emblée, il nous y inscrit avec confiance. Ce présent immédiat fondateur est le passage obligé pour refondre un passé trafiqué et le tirer vers des futurs dont nous n'espérons rien si ce n'est un plus de vie. Le passé englué dans la matières des anges, les gueules de vierges, les états de Marie et les êtres d'urgence barricade les élans.
Prendre son élan à partir de là où ça saigne, ça suinte et ça pourrit justifie l'exacerbation du mouvement. Une évidence de l'être mâle, femelle, animal végétal, minéral toujours niée, refusée et remise au lendemain empêchait le propos même. Le voilà libéré !
Son opiniâtreté si elle nous agace enclenche le processus de reconnaissance. Plus d'évitement, on hurle avec lui. L'emphase des pulsations nous remue, nous touche et nous engage dans la stupeur. Muette de prime abord mais ainsi nourrie, elle libérera ce cri salutaire qui nous « verticalise ». Basculées en dehors du propre, de l'hygiène et du lisse, nos tempes frémissent. Un substrat, un fond, des effluves réelles revivifiés et tout à coup, la pensée tressaille, prend racine et surgit dans un printemps
inattendu.
Dans ce creuset orgiaque, l'offrande devient possible, la sainteté trouve son chemin, les psaumes trépignent. Le saut sans mièvrerie, la confrontation, l'affrontement nous implique. J'y suis, il nous y a amené abruptement mais il n'y a pas d'autres chemins. Les grands textes ne parlent que de cela.
L'homme devenu ange, posté à chaque coin de nos rues attend le Nom.
Job n'était pas beau à voir, subissant les turpitudes de l'anti-verbe, il tremble à la vue de ses chairs qui se défont. Mais ce sera de ce lieu du corps décharné, pustuleux et sanguinolent que le dialogue s'instaurera. « Où étais-tu lors de la gestation du monde ? » demande l'Entité.
Je décèle une oralité picturale dans ces tableaux car comme on dit « Ça gueule ! » mais cette parole résurgence est bien différente. Elle crée le lien.
En plein dans le « mystérium tremendum » qu'il nous inflige, nous sommes à la limite de l'artistique (Terme tellement galvaudé que j'hésite à le prendre) et il s'insurge, l'art n'est pas ailleurs. L'art nous tire parfois vers l'émerveillement, le dégoût, le rien du tout ou la réflexion... mais rarement vers le silence. Stepk donne un espace et un temps au silence. Seul ce silence obtenu sans concession nous donne une raison d'espérer entendre un jour notre sang battre plus fort.

STEPK (Thierry Gaudin)


Enfants de Lilith

Mères des enfants estropiés
Bribes écornées des brisures internes
Pitiés écrasées des piétas oubliées
La charge se crève éclate le vivace
Emersions quasi informulées
L’encre creuse l’immobilité
La vanité se tait et tue la surdité
Spectres attrapés aux éclaboussures
Des veines ignorées recluses
Carcasses à rebours qui labourent
La place policée

Les larmes se teintent
Des douleurs inciviles
Venues des âges envasés
La marbrure des âmes s’énonce
En exigences exaspérées
La mâchure du relégué articule
A l’informulé la phrase première
La douleur à bout de pigment
Ne ment plus / trop lucide
La vigilance des anges ne garde
Que l’éclaboussure essentielle

Accents de silences ressuscités
Apostrophes accentuées vers le centre
Carapaces pulvérisées insolubles
Dans le convenu du phrasé orthographié
Naphtes puisées aux blessures premières
Bleus des cieux écharpés

Les plaies des ères anciennes sourdent
Dans les plissements des arcanes
L’archange écorché des prières creuse
Jusque la paupière
La voute amorcée  accroche la tension du cri

Sous la volière complice
Le psaume se tait / urgence

Aux limites des pupilles l’artifice s’échoue
Sur les cicatrices découvertes à vif 

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