vendredi 24 juin 2016

XAVIER JALLAIS : L'HUMANITE EN DERIVE (Michel Foucault)


Devant chacune des toiles qui composent la série « Exode », le spectateur est brutalement confronté à une masse énigmatique et flottante qui émerge des ténèbres chargées de menaces. «Radeau de la Méduse» contemporain ou nacelle en perdition : à bord  une personne est à la dérive. Qui est-elle ? D'où vient-elle ? Où va-t-elle ?
Dans la masse compacte où tout semble faire corps, il est difficile de démêler les fragments qui la composent. Des mains s'agrippent énergiquement à des oreillers ou des coussins qui se voudraient rassurants, des bras pressent des matelas trop encombrants, des corps disparaissent derrière des objets de fortune, des visages se détournent et se camouflent. Les éléments corporels ne semblent plus constituer que les fragments éparpillés d'une personne. Le naufragé semble avoir perdu son intégrité.
Rien ne désigne ce que fuient ces personnages errants et rien ne permet de leur donner une identité. Cependant les toiles de Xavier Jallais ne sont pas sans évoquer les réfugiés qui traversent  actuellement l'Europe pour s'éloigner des guerres et des massacres qui menacent leur vie et celle de leur famille. 
On pense également aux sans-domicile-fixe ou aux sans-abri que l'on expulse dans la rue. Contrairement aux images-chocs des médias, les toiles de Xavier Jallais n'imposent aucun discours univoque. Leur mise en scène picturale empreinte de compassion questionne le spectateur sur la profonde solitude et la lente déshumanisation qui menacent les précaires et les plus démunis. 

mercredi 22 juin 2016

ANNE BOTHUON (Michel Foucault)


Le visiteur est immédiatement saisi par la présence troublante des personnages qui peuplent l'univers d'Anne Bothuon. La plasticienne est l'unique ordonnatrice d'un théâtre qui oscille entre comédie et tragédie. Tour à tour, elle endosse le rôle de sculpteur et de scénographe pour donner vie à ses créatures textiles.
Le corps humain est la préoccupation première d' Anne Bothuon. A l'égal du sculpteur sénégalais Ousmane Sow, elle porte un regard attentif et bienveillant sur les corps qui l'entourent. Des corps éloignés des modèles éternellement jeunes et dynamiques, promus par notre société marchande. Des corps qui ont traversé les années avec leurs défauts et leurs petites imperfections. L'artiste fait surgir ses figures d'une masse blanche de ouate et de tissu qu'elle modèle à coups de fils et d'aiguilles. 
Un réseau labyrinthique de fils colorés enserre cette grande masse molle et inerte pour lui donner vie. Ici, le réseau se resserre pour suggérer le détail d'une plissure ou d'un repli. Là, le réseau se fait plus lâche pour libérer les volumes d'une poitrine ou les courbes d'une hanche. Anne Bothuon donne corps à une galerie de personnages puissants et fragiles, magnifiques d'expression et d'humanité.
Une mise en scène discrète et généreuse nous invite à déambuler parmi ces créatures à taille humaine. On se surprend à croiser leurs regards et leurs têtes légèrement inclinées semblent implorer un moment de sollicitude. Dans un curieux face-à-face, on ne sait plus très bien qui cherche le regard de l'autre. Ce jeu de miroir crée un beau moment de partage et d'échange entre les spectateurs et les sculptures textiles  qui leur ressemblent tant.


vendredi 10 juin 2016

PASCAL HONORÉ (Michel Foucault)

On s'installe au milieu des toiles de Pascal Honoré comme on prend place dans un jardin public. D'abord le regard glisse sur l'ensemble des toiles comme pour effectuer un rapide tour de reconnaissance. Il est confronté à un entrelacement de formes stylisées rappelant des formes végétales, à une accumulation de motifs colorés évoquant des fleurs et des fruits. Le regard se perd. Il ne sait où se poser devant une telle profusion. Les creux, les vides et les interstices sont traités avec autant d'attention que les motifs.
Étrangement cette profusion ne crée aucune sensation d'encombrement ou d'étouffement. Le regard se sent libre. Il est sereinement sollicité pour circuler dans un fouillis végétal et déambuler parmi une succession de fragments aux couleurs délicates et fragiles. Parfois les motifs sont à peine esquissés. Parfois ils surgissent en négatif à l'aide de subtils recouvrements. Parfois ils apparaissent partiellement par transparence ou par des effets d'écaillement de la matière. La peinture de Pascal Honoré n'impose rien. Elle suggère et laisse entrevoir.
Cette peinture qui fonctionne par strates successives évoque irrésistiblement les fresques anciennes d'une demeure prestigieuse ou les mosaïques usées d'une villa abandonnée. Elle garde en mémoire les traces qui se sont superposées sur la surface de la toile et les images qui se sont succédé au cours de l'élaboration du travail. Les formes naissent et disparaissent. 
La peinture élégante de Pascal Honoré est une belle méditation sur la vulnérabilité des images exposées à l'usure du temps. 

ASTRID LAVIEVILLE : CHIMERES DU REEL ! (Yannick Lefeuvre)

Il fut un temps où dans l'émerveillement du monde chaque bruit de la forêt nous apprenait le mystère. Chaque murmure signait sa présence dans un imaginaire vivifiant. Ces liens aujourd'hui distendus nous laissent orphelins d'un monde oublié. 
Astrid Laviéville tient dans ses mains la certitude et la nécessaire utilité de leur présence. Alors, elle dessine, peint, sculpte l'ailleurs comme nulle autre pareille et ouvre ainsi notre regard à de possibles retrouvailles. Reporter de l'invisible, elle rend compte du petit peuple qui vit sous les feuilles, dans le souffle des ramures, sous les toits des champignons. 
Nécessaire exploration vitale en ces temps de réalités objectives et de rationalités crues. Elle nous transmet son univers souligné d'exigeantes délicatesses sur lesquelles veillent des ancêtres attentifs, son petit monde traversé par de sages figurines assises sur des montures à fines pattes. Leurs présences bienveillantes nous accueillent avec des utopies de chemins de traverse, un humour de comptines et des ballons somptueux prêts à l'envol.
L'envie irrésistible de les protéger nous prend alors que ce sont eux qui du fait de leur tranquille activité veillent sur nous … avec elle, nous allons vers le monde, notre peur envolée !

jeudi 9 juin 2016

FANNY PALLARO : TENIR TETE ET PRENDRE PIED ! (Yannick Lefeuvre)


Par la rencontre avec les œuvres de Fanny Pallaro, le silence s'établit en nous. Il recueille l'émotion suscitée par ses sculptures hors du temps. Un recueillement soudain écoute la vie battre, discrète, certaine et toute intérieure autant en soi que dans ses sculptures. Chaque visage composé sur le fil de l'étrange nous livre en toute discrétion son secret. Notre intimité redonnée nous donne alors à vivre et à goûter l'instant ineffable de la rencontre avec l'inconnu transfiguré. L'enracinement immédiat nous surprend mais son geste est si empreint de confiance qu'on se laisse emmener dans son monde.
Féérique quoique sans innocence mièvre. Sensualité grave mais sans pathos inutile offerte à la surprise du déroulement du temps … ce temps longtemps cherché et enfin trouvé par la grâce de son travail. Blé en herbe des torses, promesses de l'autre et reliés aux utopies d'une tribu à venir.


Légers sourires adressés du dedans en lien avec une humanité tranquille. Elle investit le silence les mains ouvertes à ce qui est. Sur les visages de grès, les éléments se conjuguent, fluidité, effluves et feu. Le sable millénaire transformé en une seconde d'éternité par des sourires tranquilles et des regards malicieux nous traverse et nous installe dans le souffle du cœur de la vie. Cela dans un enracinement si doux qu'irrésistiblement notre tête se penche et se pose ... tout contre une joue, des cheveux, un front ... contre le visage retrouvé de notre présence au monde.